l\'indifférence et la curiosité-le théâtre reflet des temps

encore des extraits

"15-02-86 – Admirable, sublime, concernant, bouleversant par instants, drôle, c’est du théâtre à l’état pur et du théâtre exemplaire, ramené à sa réelle dimension que je ne cesse de rabâcher comme étant sa seule issue d’avenir : l’acteur en chair et en os, vivant, en danger sur une scène devant des spectateurs eux aussi vivants.
Ne croyez pas que les SEPT LEÇONS DE LOUIS JOUVET À CLAUDIA SUR LA SECONDE SCÈNE D’ELVIRE DU DOM JUAN DE MOLIÈRE soient touchantes seulementpour les professionnels de l’art dramatique. Ils y puisent, naturellement, des plaisirsparticuliers, surtout ceux qui, âgés comme moi, ont connu le « Maître », qui était fort bavard et aimait s’écouter parler. Le rapport « professeur à élève » tel qu’il existait au Conservatoire il y a une cinquantaine d’années, fait de respect du jeune pour le monstre sacré distillant une parole jamais contestée, introduit déjà une notion plus universelle.
Le professeur oriente. Il sait. Ou plutôt sa recherche, si elle engendre des doutes, n’est périlleuse que pour lui, intimement. L’élève, le disciple, déploie des trésors de bonne volonté pour lui plaire, lui obéir. En fait, tout le spectacle est une dialectique entrele cas particulier : il s’agit d’une élève comédienne qui cherche à incarner le personnage complexe d’Elvire sous la direction d’un Jouvet qui approfondit peu à peu son approche du rôle. Et une réalité plus générale : un hymne à l’effort, à la lutte avec soi-même vers la recherche d’une perfection aux limites toujours reculées. Il y a de l’ascèse, du religieux dans l’entreprise. À travers une « lecture » de sa scène à chaque fois enrichie et parfois modifiée, c’est le modelage de l’élève par lui-même, ne se contentant jamais du but atteint tant que la réalité absolue n’est pas obtenue, qui est ici montrée. L’élève comédienne y est comparable à une nonne recherchant l’extase et finissant par là trouve à force d’emprise sur soi-même. Naturellement, la période de ces leçons, l’hiver 1940,puis mai 1940, enfin septembre 1940, le fait que l’apprentie soit juive, ajoutent une importante dimension, car il est extraordinaire de voir ces êtres entièrement investis par cette quête alors que les spectateurs savent ce qui se passe à l’extérieur.
Jamais cette volonté de maintenir l’Art à sa place ne semble dérisoire. Il n’en est d’ailleurs pas question. Le maître Jouvet et son élève Claudia font abstraction de tous les autres problèmes que celui dont il s’agit expressément ici. Comme s’ils n’existaient pas. Brigitte Jacques, qui a mis en scène ces leçons avec une rigueur, une pudeur et une économie de moyens admirables, s’est contentée d’un exposé neutre des dates et, à un moment, lointaine, derrière la porte un instant entrouverte du rideau de fer, de la voix d’Hitler, vociférant devant ses foules célèbres, pour que soit située cette étonnante ascension vers l’accomplissement d’une entreprise pathétiquement stérile quelque part. C’est prodigieusement, une reconnaissance de la volonté humaine à tenir sa barre ferme malgré les orages. C’est la devise : je maintiendrai. Quand, dans la dernière leçon, l’élève va enfin jusqu’au bout de sa scène, et la joue de façon convaincante, émouvante
et présente pour nous, le maître dit simplement « c’est bien », et on a les larmes aux yeux parce que c’est la plus belle récompense qu’il pouvait accorder.
Bien sûr, il y a aussi pour les gens de théâtre, une leçon à tirer, à l’heure où tant de comploteurs ont détourné l’enseignement de sa voie véritable, malhonnêtement, « suicidairement». Car tout dans cette appréhension du rôle est honnête, vise à la sincérité.
Le triomphe fait au spectacle a valeur de d’avertissement pour tous les docteurs en
obscurantisme. Comme si, quelque part, ce spectacle sobre annonçait le renouveau du vrai théâtre.
Philippe Clévenot incarne Jouvet en grand acteur. Il n’est pas tombé dans le piège de l’imitation vocale caricaturale. Tel son personnage, il s’est refusé la facilité. Mais à la silhouette de Jouvet, ses gestes, ses attitudes, et, peut-on dire, sa pédanterie. Il dégage l’aura d’un grand acteur, de ceux qui s’imposent par un rayonnement inexplicable. Et il faut rendre hommage à Maria de Medeiros, qui sait admirablement jouer, de l’imperfection à la perfection, d’une trajectoire certainement très difficile. Les deux comparses sont médiocres, donnant en répliques Dom Juan et Sganarelle sans s’investir, à dessein certainement."

 

"19-10-89 – Sacré Mesguich ! Sacré faiseur de Mesguich qui fait délirer Cournot avec sa façon de présenter TITUS ANDRONICUS. Notre illustre critique trouve que c’est une grande pièce. Ouais : au Grand Guignol elle aurait fait merveille et je suis sûr que Jean-Luc Courcoult aurait trouvé des effets spéciaux sublimes pour rendre spectaculaires la langue et les membres mutilés de Lavinia, la main coupée de Titus, le corps du captif brûlé en sacrifice, etc.
Mesguich n’a pas travaillé dans l’hémoglobine mais je ne crois pas qu’il ait pris l’oeuvre très au sérieux. J’ai en tout cas gloussé plusieurs fois. Et puis, il faut bien le dire, je ne me suis pas ennuyé à ce Shakespeare simpliste, quoi que je n’aie pas perçu, comme l’autre, en quoi il annonçait HAMLET ! C’est que Mesguich lui a infligé un traitement de choc théâtral avec un rythme d’enfer, chaque tableau étant montré vigoureusement en séquences séparées par un baisser et un lever rapides du rideau d’avant-scène.
Dans un décor étrange, sorte de coupole de bibliothèque renversée, mais ce pourrait être un sas de vaisseau spatial, baroque en diable, beau, je dois dire, les personnes entrent et sortent, vivement comme l’affectionne Mesguich, mais cette fois-ci sans (trop de) gratuité. La linéarité des intrigues a dû inspirer à l’adaptateur (il faut bien que les droits d’auteur tombent !) metteur en scène un certain premier degré dans ses indications aux artistes. Nous sommes aux antipodes de LORENZACCIO ! Cela ne l’a pas empêché de mêler les époques. Si les protagonistes principaux sont vêtus « assez classiques », de-ci de-là passent des « philosophes » vêtus moderne et noir et cravatés. L’un d’eux débite quelques réflexions signifiantes avec distance. Il y a aussi deux aquariums où végètent longuement, dans l’attente de leur sort, les fils de Titus, ceux dont la Reine des Goths livrera la tête (seule) à son vainqueur… Que dire d’autre ? Je crois que ça va très bien marcher. Je crois que c’est un produit très bien empaqueté assaisonné à la sauce « grand faiseur ». Mesguich est un « winner» fabriqué dans les usines de STAR JOB. Ce qu’il propose a la qualité parfaite de ces plats cuisinés qu’on réchauffe au micro-ondes."

 

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29/11/2010
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